Par Catherine Hurtig-Delattre
Suite au mouvement de grève dans l’Education Nationale du 13 janvier
Texte libre
Depuis bientôt deux années, les professionnels des écoles sont malmenés par un ministère brutal, autoritaire, incohérent, qui gère la crise sanitaire sans aucune considération. Le mouvement de protestation du jeudi 13 janvier, mobilisation historique intersyndicale, inter-degrés et inter-métiers, appuyée par les parents d’élèves, était largement justifié.
Ex-enseignante du 1 er degré, je suis actuellement détachée sur un poste de formatrice. Je ne suis donc plus en classe et c’est à titre d’observatrice que j’écris ce texte. J’ai participé à cette journée par solidarité. Mais ma participation a eu un goût amer que je souhaite exprimer ici.
A mon sens, il y avait de grands absents dans cette mobilisation, pourtant annoncée comme « de toute l’Ecole ».
Premier ensemble d’absents : les personnels des collectivités territoriales qui travaillent dans les écoles, les collèges, les lycées. Les ATSEM des écoles maternelles, les personnels de restaurant scolaire, les animateurs périscolaires, les personnels d’entretien des établissements sont tout autant malmenés par la valse des protocoles sanitaires et par la pénurie de remplaçants que les enseignants, les personnels de direction ou les personnels médico-sociaux. Ci-joint un texte de l’ANDEV (association des directeurs de l’éducation des villes) paru
dans Tout Educ du 7 janvier, qui explique l’extrême désorganisation des services et ce sentiment d’être « les grands oubliés » de la crise, notamment du côté des médias. Même si ces personnels ne dépendent pas du même employeur, pas du même ministère, ils travaillent dans les mêmes établissements auprès des élèves : c’était le moment ou jamais d’être unis et de défiler ensemble dans la rue. Première amertume donc, de constater une fois de plus que la culture intersyndicale, interdegrés et intermétiers de l’Ecole ne les inclue pas...
Deuxième ensemble d’absents : les enfants et les jeunes, au-delà de leur sécurité sanitaire. Certes le texte intersyndical parle « d’aménagements pédagogiques liés à l’absentéisme perlé, qui rendent difficiles les conditions d’apprentissage ». On entend aussi dans les médias dénoncer l’aspect intrusif des tests nasaux.
Mais mesure-t-on les dommages collatéraux endurés par les enfants depuis le début de la crise sanitaire ? Quelles précautions sont prises pour les préserver dans l’école d’un climat anxiogène qui touche toute la société ? Pense-t-on au poids pour leur développement psychosocial de l’interdiction des brassages, de la limitation des activités physiques et ludiques, de l’arrêt des sorties, des voyages scolaires et autres projets culturels, des alternances incessantes et sans repères de temps passé à la maison et de temps passé à l’école ? Pense -t-on aux répercussions du port du masque enfantin sur un si long temps, et à la détérioration des apprentissages auprès d’adultes masqués dont on ne voit ni les expressions du visage, ni l’articulation labiale ? Comment gère-t-on la séparation pour les tout-petits, lorsque les parents d’élèves n’ont plus le droit d’entrer dans les écoles maternelles ? Les enfants traversent cette crise comme les adultes et certains observateurs notent leur forte capacité d’adaptation. Mais les psychologues alertent sur le fait que certes les enfants s’habituent, mais ils ne s’adaptent pas -au sens où l’adaptation induit un progrès développemental (voir article du Monde du 15 janvier ci-joint, sur le vécu des enfants)
Certes, il n’y a pas de recette miracle et « il fallait bien agir ». Mais le contexte ne doit pas figer notre capacité de penser : il est possible d’adapter les protocoles, de demander de la souplesse pour tenter de limiter les dommages. Beaucoup de professionnels de l’éducation le font au quotidien. Ils l’expriment sur les réseaux sociaux et dans les mouvements pédagogiques. Mais ma deuxième amertume est de constater que lorsqu’ils se mobilisent de manière unitaire contre un ministre autoritaire, ils font bien peu de place aux enfants et aux jeunes dans leurs revendications et sur leurs banderoles.
Lyon, le 17 janvier 2022
Catherine Hurtig-Delattre